Je pratique l’hypnose en milieu scolaire et éducationnel. Comme je travaille dans un contexte d’interventions brèves où le support aux élèves est donné par une équipe multidisciplinaire, je participe aux évaluations diagnostiques et je fais des suivis. Il arrive donc qu’on me demande d’intervenir auprès des jeunes, soit par des rencontres individuelles, en sous-groupe ou en groupe-classe. Pour ces interventions, je trouve beaucoup plus simple et pratique d’utiliser l’hypnose. Par exemple, je l’intègre dans mes suivis, dans le but d’outiller les élèves pour gérer les stress, pour prévenir l’anxiété avant un examen, ou pour centrer l’élève sur ses priorités. L’hypnose permet d’obtenir une grande concentration et une attention optimale chez un élève et un calme qui permet un meilleur accès à la mémoire. Cela m’est très utile, par exemple, lorsque je leur demande de me décrire le contexte d’apparition des symptômes et les stimuli déclencheurs sur le plan psychosocial. Dans ces exemples, le psychologue peut analyser le contexte d’apparition du symptôme, pour ensuite fournir au client ces stratégies Dans l’état de transe hypnotique, il peut aussi guider les élèves pour les aider à simuler dans un « écran intérieur » ces stratégies comportementales (split-screen technique). Je rappelle ici que la transe hypnotique est induite à l’aide d’une méthodologie scientifique encadrée par des protocoles validés. L’hypnose me permet également de conditionner l’élève à l’acceptation de suggestions positives facilitant les nouveaux schèmes comportementaux. De plus, l’impact de l’hypnose favorise le maintient de la relation de confiance avec l’élève. Souvent, lorsque l’élève répond bien à l’hypnose, il se produit un « déclic », c’est-à-dire qu’il y a prise de conscience. Il comprend qu’il peut changer les choses, car il peut arriver en quelques minutes, à ressentir une sensation de grande détente, qu’on appelle la transe. Ce premier succès lui donne alors beaucoup d’espoir et motive l’élève dans ces efforts vers le changement. Cela peut avoir un effet très positif chez certains élèves anxieux, mais là aussi mes compétences de psychologues sont sollicitées, car je dois gérer cette « bulle » d’espoir, pour éviter les attentes irréalistes.
Définition
Lorsque j’utilise l’hypnose, je dois d’abord définir ce que c’est, et cela auprès des élèves qui sont mes clients, mais également aux autres intervenants qui gravitent en milieu scolaire, c’est-à-dire mes collègues, élèves et parents. Je leur explique qu’il s’agit simplement d’un état de détente, que j’approfondie à l’aide de suggestions positives et stratégiques orientées vers les solutions. J’évite les termes qui peuvent faire peur aux parents. Par exemple, je n’utilise pas l’expression « état altéré de conscience » qui peut être associé à la prise de drogue ou à la perte de contrôle de soi. Le terme de transe est à employer avec parcimonie. Bien que le phénomène de transe mentionnée au paragraphe précédent soit le terme employé pour désigner l’état de détente hypnotique, je préfère employer le terme de détente très profonde et très énergisante. Le terme de transe a des connotations religieuses et est souvent associé à des sectes et des gourous.
Dans mon travail, je dois également rappeler qu’à la lumière des recherches récentes en hypnose, on ne peut pas déclasser l’hypnose en l’associant à de l’ésotérisme et que son effet thérapeutique a été démontré à l’aide de procédé rigoureux. Malgré cela, il demeure des résistances dans l’imaginaire collectif des élèves, parents, enseignants et collègues. Le concept reste chargé de l’occulte des mystères du paranormal. D’ailleurs, les médias se gorgent d’entrepreneurs qui surfent sur ces perceptions et exploitent les phénomènes hypnotiques à des fins commerciales de spectacles. Cela n’aide pas à préserver la réputation de l’hypnose thérapeutique. Avec ses suggestions positives et l’état de grande détente qui en résulte, l’hypnose reste, malgré tout, un ingrédient essentiel à la relation psychothérapeutique et aux « Traitements non pharmacologiques spécialisés pour le soulagement des symptômes ».
Prudence
Prenons un exemple classique d’attitude prudente face à l’hypnose. Il y a plus de cent ans, Freud lui-même a été grandement influencé par les pères de l’hypnose, Charcot, Breuer et Bernheim et il a même utilisé l’hypnose. Dans « Cinq leçons sur la psychanalyse », il explique que pour obtenir de ses patients les souvenirs à l’origine des symptômes névrotiques, il « agit » comme Bernheim sur ses malades : « Lorsqu’ils prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu’ils savaient, qu’ils n’avaient qu’à parler et j’assurais même que le souvenir qui leur reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le bon. » Cependant, Freud à fait le choix de rejeter cette méthode de l’hypnose et à son sujet il ajoutait : « c’est un procédé incertain et qui a quelque chose de mystique ». Si je mentionne cette sentence freudienne, c’est qu’elle illustre bien l’ambivalence prudente du clinicien face à la charge émotive de l’hypnose. Cependant, il faut rappeler qu’à cette époque, Freud ne disposait pas des connaissances scientifiques d’aujourd’hui. D’autre part, c’est peut-être la perte du libre-arbitre qui fait peur. Encore aujourd’hui, beaucoup de gens, professionnels ou patients, croient à tort que l’hypnose peut causer une perte de contrôle de soi. Comme je le mentionnais, il est plausible que ce mythe soit propagé par les entrepreneurs de l’hypnose spectacle. Même s’il est scientifiquement invalidé, beaucoup des élèves à qui je parle d’hypnose s’imaginent que je vais automatiquement les contrôler. Je dois donc revenir à la base et leur expliquer et définir l’hypnose.
Toujours concernant l’image de l’hypnose, il faut préciser un autre point. Certains estiment que l’hypnose agit à la façon d’un effet placebo assimilable à la méthode Coué. Celle-ci étant basée sur la croyance que la simple prononciation d’une idée positive rendra une personne plus « positive » ou heureuse. Avec sa formule unique « Tous les jours et à tous points de vue, je vais de mieux en mieux », c’est est un bon exemple d’autosuggestion universelle. Une autosuggestion utilisée aussi simplement, comme recette universelle, ne peut être ni très efficace, ni comparable à une induction de transe hypnotique. La suggestion en elle-même est valable, à condition d’être habilement induite par un opérateur expérimenté. Cependant, l’hypnose est pour moi, beaucoup plus qu’une simple suggestion, beaucoup plus que de l’autosuggestion. Pour apparaître, la transe hypnotique nécessite plus qu’une simple croyance en une valeur de vérité. Elle nécessite plus que des formules toutes faites. Lorsqu’un psychologue ou un autre professionnel de la santé utilise l’hypnose, il utilise tout son savoir-faire et son expertise, pour induire la transe, avec des suites de suggestions savamment orchestrées en fonction de la problématique ou du contexte d’utilisation. L’hypnose est un outil thérapeutique très complexe qui tient compte de tous les facteurs pouvant contribuer positivement à l’atteinte d’objectifs. En fait, je considère que les techniques d’hypnose sont beaucoup plus complexes, plus élaborées, plus souples, plus efficaces que bien des approches que j’ai utilisées dans ma carrière.
Quelques mots sur les causes de la transe hypnotique
Comment s’effectue ce déclic? Comment accède-t-on à la transe hypnotique? La transe est pour moi plus qu’une simple détente. Nous pouvons nous relaxer, même sans le savoir, lors de nos activités quotidiennes. Par exemple, en prenant l’autobus, ou le train, on peut méditer en regardant le paysage. Mais cette forme de relaxation n’est souvent qu’une relaxation de surface car les problèmes du quotidien peuvent à tout moment ressurgir à la conscience et notre méditation peut rapidement se transformer en réflexion analytique. La transe hypnotique est beaucoup plus profonde parce que l’opérateur qui formule le libellé de l’hypnose redirige constamment le sujet vers un abandon de plus en plus total de toute forme de réflexion. En ce moment, ma conceptualisation de la transe est alignée à celle qu’on retrouve dans les travaux de recherches d’Egner, Jamieson et Gruzelier, effectués à l’aide d’imagerie fonctionnelle du cerveau. Dans un article publié en 2005 et cité en référence, ces auteurs démontrent que l’induction hypnotique « désengage » les centres nerveux qui contrôlent l’exécution des étapes de la résolution de problème. De cette façon, l’induction permet une détente très profonde de l'esprit conscient, « où il n’y a pas de préoccupation, de travail à effectuer ou de problème à résoudre ». D’après ces résultats, l’induction classique de la transe hypnotique serait une méthode permettant de diminuer efficacement l’activité de certains centres neuronaux identifiables. Cette recherche permet de conclure que la transe résulte d’une induction visant à désengager le travail actif de résolution de problème, pour centrer toutes les perceptions sur un état de bien-être et un sentiment de « complétude » où rien ne manque et tout va bien.
Un cheminement
J’ai reçu la formation de base en hypnose il y a bientôt dix ans. J’ai donc pratiqué pendant quelques années en induisant des transes légères, toujours dans le but d’enseigner la détente à quelques élèves anxieux. Suite à un changement majeur dans ma vie (la naissance de mon fils), j’ai consulté un psychologue pratiquant l’hypnose. J’ai alors expérimenté, comme client, une série de transe hypnotique profonde que je qualifierais de « révélatrices ». Une expérience de transe profonde que je n’avais pas ressentie lorsque plus jeune j’ai pratiqué le Zen, ou encore, lors de ma formation de base en hypnose. Quel était l’ingrédient déclencheur? L’opérateur était très habile et très compétent. Un genre de compétence que l’on acquiert généralement après 25 années de pratique intensive de l’hypnose…
Je me souviens que, lors d’une induction, j’ai tenté d’analyser « in situ » ce qui produisait en moi cet état de transe. Cette fois là, je n’ai pas ressenti ce « déclic ». Je venais de me confirmer que, comme tant d’autres phénomènes psychologiques, la transe hypnotique échappait à l’introspection phénoménologique. De coup, par A + B, je déduisais que le phénomène hypnotique était à l’opposé des fonctions de contrôle cognitif. À la séance suivante, je me laissais aller à l’abandon complet. Je me laissais passivement guider par les suggestions. « Le fauteuil très confortable, me sentant très lourds, les pieds lourdement enfoncer dans le plancher du bureau, les yeux fermés », et toute l’attention centrée sur la voix de mon opérateur. Après 20 minutes, j’ai vraiment ressenti le « déclic » et j’ai pris conscience de la puissance de cette méthode. Pendant la formation de base, on se pratiquait entre élèves ou en groupe. Je réalise qu’en individuel, avec un psychologue expérimenté et très compétent, l’effet est beaucoup plus profond.
Assistance audio et vidéo
Pour perfectionner ma technique, c’est-à-dire mon jeu, ma pose de voie, mon débit, mon intonation et surtout l’impact de certaines suggestions, de leur phrasé ou formulation de leur libellé, je me suis équipé d’un enregistreur numérique. L’assistance audio et l’assistance vidéo en mode « video-assisted recall » que j’ai présenté au congrès de la SQH de 2010, me permettaient d’expérimenter avec les élèves les déclinaisons les plus efficaces comme la suivante « je peux me laisser aller, car tout va bien, je me laisse aller à ce moment de détente, je me permets cette bulle d’isolation pour expérimenter cet état ». J’ai réécouté des enregistrements d’inductions plusieurs fois, les utilisant de la même façon que les acteurs utilisent un répétiteur au théâtre. Grâce à cet outil, j’ai retravaillé mon libellé d’induction, ce qui était pour moi d’une importance centrale. Ce libellé se déclinait en fonction d’un principe essentiel, qui pourrait se résumer ainsi « Tout va bien ». Dans ma pratique d’hypnose avec les élèves, l’assistance audio ou vidéo me permet de faire un retour sur leur vécu pour identifier les facteurs facilitant la transe et éliminer les irritants comme les formules redondantes qui résonnent moins avec les représentations et les perceptions des élèves. Par exemple, l’élève qui réécoute avec moi l’enregistrement du libellé peut identifier un bruit de fond qui l’a distrait, ou une formulation maladroite qui a provoqué une pensée intrusive. Cet outil me permet donc d’identifier les sources de distractions et les éliminer, en fermant une fenêtre ou en installant un générateur de bruit de fond (« white noise »), en modifiant mes formulations de suggestions et les ajustant aux attentes des élèves. L’assistance audio à donc pour avantage de m’aider à « perfectionner » ma pratique et mes techniques d’hypnose auprès des élèves.
De plus, comme je l’utilise pendant les rencontres d’hétéro-hypnose, l’élève se trouve ainsi « exposé » à cette méthodologie, ce qui a pour effet secondaire de relancer sa propre habitude d’écoute d’enregistrement audio de séance d’hypnose. Cette exposition s’est avérée être, dans certains cas, un incitatif pour stimuler la pratique de l’autohypnose chez l’élève en lui faisant prendre conscience des bienfaits de la relaxation guidée, enregistrée sur le baladeur. Je leur explique que même si l’autohypnose est moins efficace que l’hétéro-hypnose opérée par un thérapeute, l’autohypnose audio-assistée reste un outil préventif essentiel toujours dans l’optique de les outiller face à l’exposition de nouveau stresseurs. Je discute également des moments propices à l’écoute qui se fera régulièrement avant la prochaine rencontre où nous pouvons modifier, en tout ou en partie, l’enregistrement numérique.